Météo de l’entrepreneuriat féminin 2024 : Des zones d’ombrage mais des niches de soleil potentielles
Que s’est-il passé dans le pays de l’entrepreneuriat féminin en 2022 – 2023 et que pouvons-nous attendre pour 2024 ?
33,5%, c’est le taux de création d’entreprises par des femmes en France en 2022. C’est un peu mieux qu’en 2021 (32,3). On s’inscrit dans une progression faible mais quasi linéaire depuis 2018 (sources : Infogreffe).
Ces chiffres donnent corps aux constats plus qualitatifs fournis par le GEM Monitor pour la France qui indique que l’entrepreneuriat des femmes reste marqué, justement, par une absence de parité persistante.
Qui plus est, parmi ces 33,5% de nouvelles entreprises créées par des femmes, la plupart d’entre elles sont orientées services à la personne et sont à caractère unipersonnelle : volonté d’avoir son entreprise à soi pour certaines, aversion au risque et choix de la stratégie des « petits pas » pour d’autres… peu importe : certaines de ces entreprises peuvent prendre racine et survivre au-delà des 3 ans fatidiques mais elles deviennent rarement de grandes plantes qui génèrent de l’emploi pour les autres.
Fort de ce constat synthétique, quels sont les grands enjeux pour l’années à venir ?
- On dépasserait peut-être les 40% de femmes cheffes d’entreprise si on intègre les professions libérales mais avec quels revenus ?
En 2019, l’assemblé nationale française s’interrogeait sur l’opportunité de proposer une loi sur l’émancipation des femmes par l’entrepreneuriat féminin… Avec Bouge Ta Boite, nous avions pu travailler sur les données qu’elles avaient recueillies durant leur tour de France et le résultat saillant était que les femmes interrogées déclaraient, en moyenne, réaliser un CA de moins de 1 500 euros par mois. Les activités étaient certes parfois jeunes mais impossible d’en vivre et d’être émancipée des revenus d’un conjoint, d’un soutien de Pole Emploi…
En 2023, après la mise sous perfusion d’entreprises grâce à des dispositifs pour soutenir l’économie durant les crises de la covid, l’émancipation des femmes par l’entrepreneuriat se repose : Une étude sérieuse mériterait d’être reconduite sur les revenus réels déclarées par les femmes dirigeantes, qu’elles soient solopreneures ou directrice d’une SAS. Est-ce que l’activité seule permet de générer un revenu substantiel après 5 ans d’existence ? La question mérite vraiment d’être posées, surtout à l’heure du plein emploi lié au départ de la génération du baby boom du marché du travail.
2. Plus d’innovation utile parmi les idées portées ?
Des études récentes (en autres celles menées par la Chaire de Recherche dont j’ai la charge) montrent sur les femmes participent aux innovations de demain. En un sens, on pourrait s’attendre à ce qu’elles prennent enfin leur place dans les nouvelles révolutions industrielles… C’est discutable : Les femmes créatrices dans la deep tech restent très peu nombreuses et les créatrices, dans leur très grande majorité, intègrent leur activité dans une démarche de soutien à l’écosystème, qui lui innove dans les révolutions industrielles de demain (Brecht et al., 2023) : communication, conduite du changement, coaching… Est-ce acceptable dans la société ? Le scientifique n’a pas à se prononcer sur le bien fondé d’un tel constat mais le lecteur et le citoyen, si…
3. Quel impact sur l’accompagnement entrepreneurial des femmes ?
Parlons maintenant accompagnement entrepreneurial des femmes. Le collectif Sista continue de dénoncer le 2% de fonds alloués à des projets portés par des femmes, constatant qu’une créatrice, pour obtenir des fonds, à plus intérêt à se trouver un associé homme, lequel (le sociologue rajoutera dans une société genrée et paternaliste) rassurera les investisseurs ! Ce chiffre, aussi gênant soit-il, a un seul mérite : dans un écosystème entrepreneurial français soutenu par le poids très lourd des politiques publiques, plus que dans d’autres pays (GEM 2022), la baisse des fonds privés risque difficilement d’impacter encore plus les femmes.
Pour autant, qui dit baisse des fonds publics, dit baisse des revenus d’une très grande majorité d’incubateur, directement ou indirectement… Il faut s’attendre à ce qu’un certain nombre d’incubateurs soient remis en cause, dans leur utilité (Le chômage conjoncturel est au plus bas, de nombreux métiers sont en tensions mais les incubateurs ne peuvent répondre totalement à ce besoin), au moins dans leur modèle économique. Il n’est pas rare que sur un même territoire, une femme porteur d’une idée d’innovation soit courtisée par deux, voire trois incubateurs. Souvent intégralement financé par des fonds publics, elle peut choisir… de ne pas choisir mais pour quel résultat ? Dans ce paysage, les incubateurs d’entrepreneuriat féminin vont voit leur concurrence directe et indirecte s’intensifier. Comment s’en sortir ? Par une profonde remise en cause de ce qu’est un accompagnement, du contexte dans lequel ce dernier opère.
4. Arrêtons d’accompagner les femmes comme si elles étaient toutes pareilles !
Cela nous amène au dernier point : la littérature sur l’entrepreneuriat des femmes converge vers la nécessité d’arrêter de penser la femme avec un grand F : les problématiques de l’entrepreneuriat des femmes restent peu ou prou les mêmes et, les sociétés évoluant très très lentement, ce qui est identifié en 2009 reste valable aujourd’hui. Pour autant, des nuances de taille s’imposent : Créer dans un contexte où il n’y a que des femmes, comme dans le monde de la santé par exemple, n’a rien à voir avec la création sur une industrie dominée par des hommes. Les enjeux diffèrent aussi selon les origines sociales et ethniques des femmes ! Aussi, considérer que toutes les femmes des Quartiers Politiques des Villes se comportent de la même manière, relève de l’hérésie et peut conduire à l’inefficacité. Pour autant, comment penser accompagnement différencié sans stigmatisation et sans hyper différenciation inutile ? Question de dosage ? L’enjeu mérite d’être révélé pour penser l’accompagnement des femmes de la génération à venir !
Sources :
- GEM 2022 (Global Entrepreneurship Monitor France)
- Infogreffes : https://www.infogreffe.fr/actualites/l-entrepreneuriat-feminin-continue-de-progresser
- Brecht, S., Le Loarne-Lemaire, S., Kraus, S., & Maalaoui, A. (2023). The role of time management of female tech entrepreneurs in practice: Diary and interview results from an innovative cluster. Journal of Business Research, 163, 113914.
- Brush, C. G., De Bruin, A., & Welter, F. (2009). A gender‐aware framework for women’s entrepreneurship. International Journal of Gender and entrepreneurship, 1(1), 8-24.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Séverine Le Loarne-Lemaire (24 janvier 2024). Météo de l’entrepreneuriat féminin 2024 : Des zones d’ombrage mais des niches de soleil potentielles. Les carnets de Sev. Consulté le 9 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/vnvm