Reprise d’entreprise : Les (vrais) enjeux pour les femmes
La reprise d’entreprise : UN Sujet dans l’économie française ?
S’il est un sujet qui questionne le renouveau économique, c’est bien celui de la reprise d’entreprises. Selon BPI, en 2023, on parle de 51 000 transmissions-reprises d’entreprises. C’est peu au regard des 185 000 entreprises qui seraient à reprendre : Environ 27% seulement des entreprises à reprendre seraient pourvues.
Certaines entreprises de conseil en reprise d’entreprises estiment que ce chiffre serait sous-estimé, si l’on en croit l’âge moyen des dirigeants en France… et parleraient même de 600 000 entreprises à reprendre. Je n’adhère pas trop à ce chiffre pour plusieurs raisons, à commencer par le fait que l’âge moyen du dirigeant n’est pas mentionné. Parle-t-on de 60 ans ? De 80 ans ? A continuer par le fait que la gouvernance d’une entreprise ne se réduit pas au dirigeant, pas toujours propriétaire de l’entreprise, cela dit en passant…
Enfin, parce que ce chiffre même questionne : Au final, combien d’entreprises pouvant être céder sur un plan juridique y a-t-il actuellement en France ? La réponse se trouve chez l’INSEE mais uniquement pour 2022 où l’institut dénombrerait 5,5 millions d’entreprises économiquement active… Ce chiffre est discuté, en particulier par des entreprises de conseils qui, je suppose, peuvent chercher à valoriser les compétences de leur datascientists ou encore à optimiser le propos pour légitimer leur activité… A ce chiffre, il faut certainement retirer les entreprises qui ne sont « que » des établissements juridiques (comme un établissement bancaire par exemple). Passons donc cette discussion sous silence mais notons tout de même que le chiffre en lui-même offre matière à discussion…
Aussi, quand on parle de reprise d’entreprises en France, on parlerait de 3,3% à 10% des entreprises cessibles en France. Avec ces chiffres, difficile de dire si la reprise est un vrai sujet de pérennisation de l’économie ou un sujet important mais à traiter parmi d’autres en soit…
Les femmes et la reprise d’entreprise : les aspects voilés ?
Dans cette équation, Infogreffe[1] explique que presque 1 tiers des reprises d’entreprises est porté par des femmes (33,4%), ce qui est plutôt bon au regard de la part des femmes dans la création d’entreprises pure (la même source indique que 40% des créateurs de nouvelles structures d’entreprises sont en fait des créatrices).
Ce chiffre est doublement rassurant car il contre balance le chiffre de 70% des créatrices qui sont des créatrices de micro-entreprises donc avec un faible potentiel de croissance, de création d’emplois et d’impact pour une société.
Le moins que l’on puisse dire est que l’exploration de ce sujet par les producteurs de chiffres en France est à peine initiée.
On sait seulement que la transmission d’entreprises est avant tout une histoire de familles. Aussi, donner plus de place aux femmes dans la reprise d’entreprises implique de poursuivre la dynamique du plus de femmes impliquées dans les entreprises à capitaux détenus par la même famille. Pour autant, si la recherche en entrepreneuriat a abondamment modélisé ce phénomène, les chiffres nationaux restent très silencieux : Seules les statistiques de secteur agricole français révèlent que les reprises entre époux se font à 87,8% dans le sens d’hommes à femmes et qu’elles sont en baisse constante. Pour le reste… Les exemples sont visibles, la Veuve Clicquot en tête, documentés mais peu généralisés…
Au-delà du (peu de) chiffres, les enjeux des femmes dans la reprise
Justement, ces exemples sont portés par la recherche en entrepreneuriat, laquelle se divise en trois catégories et qui montrent oh combien le phénomène de la reprise d’entreprise par les femmes est systémique. La recherche en histoire économique et en histoire du genre rappelle ce que nous venons de dire : La reprise d’une entreprise est une histoire de famille, de perpétuation d’un héritage. Dans ce jeu, les femmes, en particulier les veuves, ont souvent tenu la belle part. Maintenant, ce serait au tour des filles et des femmes qui sont mieux représentées dans les conseils d’administration de ces entreprises. C’est ce que montre la deuxième catégorie de travaux, celle qui ne traite pas vraiment de la reprise d’entreprises par une personne mais de la dynamique des personnes au sein des conseils d’administrations familiaux. Et enfin, reste une toute petite proportion de travaux en entrepreneuriat, celle qui porte sur les repreneurs d’entreprises et comment ils s’y prennent pour parvenir à cette fin.
La très grande majorité traite de la légitimité de la successeur, à la fois en tant personne capable d’être perçu comme légitime, capable de reprendre la suite d’un créateur qui a, par définition, réussi et, surtout, en tant que femme. Et là, la recherche explique que la femme préfère la création à la reprise[2]. Peu d’explication sont cependant avancées et on ne peut esquisser que des hypothèses : la faible exposition des femmes à l’apprentissage de la reprise et à l’idée même de reprise ; la volonté de ces dernières de s’émanciper et de vivre leur vie économique sans contrainte, qui serait aux antipodes de la reprise… Comme aucune de ces dernières n’a été testée, délicat d’aller plus loin.
En tout cas, une fois la reprise décidée, les recherches montrent l’existence des stéréotypes, y compris en France qui existe encore sur la perception qu’ont les salariés et les financeurs à identifier la femme comme une repreneuse[3]. S’en suit une double nécessité, à celle de légitimer la capacité de poursuivre les travaux d’un prédécesseur, la repreneuse doit convaincre qu’elle est, en tant qu’identité de sexe, la bonne personne. Cela ne pourra fonctionner que si elle bénéficie du soutien du cédant, ce qui est aussi important pour le repreneur masculin mais aussi du soutien de la famille proche[4].
Dit autrement, en dehors de l’impératif de croissance de l’activité, les enjeux de la femme repreneure seraient pratiquement mêmes que ceux de la créatrice d’entreprises : L’accès au financement, lequel est conditionné par l’écosystème entrepreneurial toujours pas enclin à ouvrir les portes aux femmes, et le soutien du conjoint et de la famille, pas toujours ouvert aux partages des tâches domestiques et économiques.
On sait donc ce qui reste à faire et sur qui agir !
[1] https://www.infogreffe.fr/actualites/barometre-2024-de-l-entrepreneuriat-feminin—-quels-defis-pour-les-creatrices-d-entreprise–
[2]https://openurl.ebsco.com/EPDB%3Agcd%3A12%3A22823964/detailv2?sid=ebsco%3Aplink%3Ascholar&id=ebsco%3Agcd%3A118538726&crl=c&link_origin=scholar.google.com
[3] Deschamps, B., & Thévenard-Puthod, C. (2024). La reprise d’entreprise par les femmes: stéréotypes liés au genre et construction de la légitimité. Revue internationale PME, 37(1), 27-51.
[4] Deschamps, B., & Kaméi, K. (2020). Cas Oikawa Denim, une entreprise japonaise reprise par l’épouse du fondateur (No. hal-04650993).
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Séverine Le Loarne-Lemaire (12 mai 2025). Reprise d’entreprise : Les (vrais) enjeux pour les femmes. Les carnets de Sev. Consulté le 9 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13wv9